Lettre ouverte aux députés-es de l’Assemblée nationale
(...) Ce qui
distingue ces voiles, c’est la longueur du tissu et leur degré d’envahissement
de la dignité des femmes. La présence du hijab parmi les députés-es d’une
assemblée nationale qui se veut laïque n’est pas souhaitable. Pas plus que le
crucifix juché en haut de la chaise du président. (...).
Nous vous écrivons parce qu’il nous est difficile de
détecter la cohérence des député-es de l’Assemblée nationale, tous partis
confondus, à propos de la décision récente du Directeur général des élections
du Québec (DGEQ) de changer les exigences d’authentification pour la photo de
mise en candidature aux fins d’une élection.
En 2013, lors des audiences sur le projet de loi 60, les
député-es de toute allégeance expliquaient qu’il fallait leur laisser le soin
de trancher sur la question du port de signes religieux par les élus, député-es
et ministres.
On nous expliquait qu’il appartiendrait au Bureau de
l’Assemblée nationale de statuer sur cette question, le ministre responsable du
gouvernement du Parti québécois se disant alors en faveur de l’interdiction de
ces signes. Où logent maintenant les différents partis de l’Assemblée nationale
? Nous sommes préoccupé-es.
Le 20 février dernier, le DGEQ a annoncé en commission
parlementaire qu’il avait annulé dans la réglementation électorale l’obligation
de fournir une photographie à « tête découverte » dans le Règlement sur la
déclaration de candidature, comme stipulé depuis 1989. Désormais, on n’exigera
que l’obligation d’avoir « le visage découvert ».
La nouvelle mesure, s’inspirant de la loi 62, interdit le
seul voile intégral (le niqab ou la burqa en l’occurrence), mais autorise en
retour le port de signes religieux tels que le hijab, le turban sikh ou la
kippa juive.
On est pourtant ici dans un processus formel du système
électoral. Une mise en candidature dans une élection n’est pas une promenade
dans un parc ! Selon nous, cette nouvelle directive mine, d’un trait de plume,
le long cheminement vers la laïcité de l’État et des institutions politiques au
Québec, dont son système électoral et sa gouvernance.
Nous nous adressons à vous, député-es de l’Assemblée
nationale, puisqu’aucune et aucun d’entre vous ne s’est offusqué-e ni opposé-e
à cette modification. Nous sommes étonné-es, consterné-es et extrêmement
déçu-es que vous cédiez devant les réclamations de certaines franges
religieuses intégristes. Car c’est bien de ça qu’il s’agit.
Le port de signes religieux ostentatoires n’est pas en
soi la manifestation d’une plus grande piété ni d’un plus grand recueillement.
Il est l’expression d’un prosélytisme social et politique et agit comme de
véritables panneaux publicitaires.
Ce sont d’ailleurs les mouvances intégristes de
différentes religions qui se positionnent à l’avant-poste de demandes
incessantes d’accommodements religieux dans les organismes publics et qui
sapent, par le fait même, le principe d’universalité dans l’exercice des droits
et responsabilités citoyennes.
Ces mêmes mouvements, en réclamant le droit des agents de
l’État d’arborer des signes religieux ostentatoires, heurtent la liberté de
conscience des citoyens qui se font imposer ces marqueurs idéologiques.
Cette décision du DGEQ est tout à fait contraire à celle
prise à l’unanimité par l’Assemblée nationale en 2011 interdisant aux sikhs
d’entrer dans l’enceinte de l’Assemblée nationale en arborant leur kirpan,
décision prise au nom de la sécurité, mais aussi pour le maintien du caractère
de neutralité de l’État. Elle fut d’abord avalisée par la Cour supérieure en
2015 et subséquemment par la Cour d’appel du Québec, le 19 février dernier.
Aujourd’hui, votre acceptation sans mot dire de la
décision du DGEQ équivaut à une autorisation du port de signes religieux par
des député-es et ministres au Québec. Elle est contraire à la préservation du
caractère laïque de l’État.
Une fois le hijab, le turban ou la kippa autorisés sur
une photo de candidature, comment pourrait-on ensuite interdire à quiconque,
une fois élu-e, d’afficher ses signes religieux, même une grosse croix
catholique ?
Comment le gouvernement pourra-t-il, dans le processus
officiel de sélection des immigrants et immigrantes, continuer à faire signer
par les nouveaux arrivants la Déclaration sur les valeurs communes qui les
somme de reconnaître que « l’État et les institutions sont laïques », alors
même que les député-es ne sont pas capables de protéger le caractère laïque de
l’Assemblée nationale ?
Comment se fait-il qu’il n’y ait eu aucun débat sérieux
sur ce changement dans le Règlement de déclaration de candidature, en apparence
anodin, mais fondamental par essence ?
Le multiculturalisme, vecteur de l’incursion de pratiques
et de signes religieux dans les institutions publiques, est néfaste pour la
démocratie, l’intégration des immigrants, ainsi que l’égalité entre les hommes
et les femmes.
Le hijab reste un symbole de ségrégation envers les
femmes, tout comme le niqab et la burqa.
Ce qui
distingue ces voiles, c’est la longueur du tissu et leur degré d’envahissement
de la dignité des femmes. La présence du hijab parmi les députés-es d’une
assemblée nationale qui se veut laïque n’est pas souhaitable. Pas plus que le
crucifix juché en haut de la chaise du président.
L’interculturalisme québécois se métamorphose
immanquablement en une forme hybride du multiculturalisme s’il n’est pas
rattaché à une ferme laïcité. Une diversité saine et enrichissante ne sera
possible que dans le respect d’une laïcité
Nous, signataires, demandons donc que la question du port
de signes religieux par les député-es de l’Assemblée nationale soit l’objet
d’un débat en commission parlementaire, avec tenue d’audiences publiques.
Nous refusons que ce litige soit tranché par le seul
Bureau de l’Assemblée nationale, lui-même soumis aux aléas de la lutte
partisane et des alternances de gouvernement.
Nous demandons qu’un considérant soit ajouté à la Loi sur
l’Assemblée nationale, dans son préambule, spécifiant que celle-ci est une
assemblée laïque dénuée de tous signes ou symboles religieux, et que la section
traitant de la déclaration de candidature stipule l’obligation de fournir une
photographie « à tête découverte ».
Signataires :
André Lamoureux, politologue-UQAM, Rassemblement pour la
laïcité
Nadia El Mabrouk, professeure, Université de Montréal
Djemila Benhabib, Prix international de la laïcité 2012
Diane Guilbault, présidente, Pour les droits des femmes
du Québec (PDFQ)
Leila Lesbet, Association québécoise des Nord-Africains
pour la laïcité (AQNAL)
Michèle Sirois, anthropologue, conseillère PDF Québec
Zahra Boukersi, enseignante
Yves Laframboise et Francine Lavoie, Laïcité capitale
nationale
Lise Boivin, coordonnatrice, Collectif Laïcité de Québec
solidaire
Léon Ouaknine, essayiste
Jacques Beauchemin, professeur émérite / sociologie, UQAM
David Rand, président, Libres penseurs athées
Simon-Pierre Savard-Tremblay, essayiste
Ali Kaidi, membre fondateur d’AQNAL
Ferid Chikhi, membre fondateur d’AQNAL
Leila Bensalem, enseignante
Jean-Paul Lahaie, Syndicalistes et progressistes pour un
Québec libre (SPQ-L)
René Tinawi, professeur émérite, Polytechnique Montréal
Mohand Abdelli, ingénieur à la retraite
Dre Andrée Yanacopoulo, membre de PDF Québec
Pr. Micheline Labelle Professeur émérite de sociologie UQAM
Aziz Fares, journaliste
Shirley Christensen Côté
André Lamoureux,
Aziz Fares, journaliste
Shirley Christensen Côté
André Lamoureux,
Politologue-UQAM,
Porte-parole
des signataires de cette lettre ouverte.
Courriel
: laicitequebec2018@gmail.com