Et non, mille fois
non, Madame Plante, pour une milice communautaire
05 Avril 2018
Dans sa conception de la représentativité, la mairesse ne donne
aucune place à l’individu. Pour elle, la société est composée de communautés et
non pas d’individu. Elle abandonne
l’individu à la
communauté. Suivant cette logique, il est légitime de se
demander qui représente les individus qui ne sont pas représentés par aucune
communauté reconnue ; ceux que le voile, le turban ou autre signes religieux
ostentatoires ne représentent rien pour eux. Et le moins que l’on puisse dire
est qu’ils sont nombreux. De quelle façon sont-ils représentés par les
institutions ? De plus, dans une société historiquement déterminée par un
processus de sécularisation, n’est-il pas absurde de parler de communautés
religieuses et surtout d’essayer de donner à celles-ci une visibilité politique
? Poussons cette conception multiculturaliste de l’État jusqu’au bout ; la
mairesse est-elle représentante d’une communauté ou de toutes les communautés ?
La mairesse de Montréal, Valérie Plante, demande au corps policier
d’entreprendre une réflexion au sujet de l’intégration du hidjab musulman et du
turban sikh dans l’uniforme réglementaire. Une réflexion, selon elle qui est «
dans l’air du temps ».
Cette demande correspond à son mandat de « rendre la Ville de
Montréal plus inclusive et représentative de la population montréalaise ». Nous
voilà plongés de nouveau dans l’éternel débat sur la laïcité que nos dirigeants
refusent de régler. Notre mairesse justifie cette demande par sa volonté
d’améliorer la représentation des communautés. Personne ne peut nier que son
attention est louable sur le plan moral et par rapport à l’esprit de la
démocratie. Certes, les institutions doivent être représentatives, mais de quoi
précisément ?
Eh bien, des citoyens et des citoyennes, autrement dit des
individus, ou bien des groupent d’individus qui se réclament d’une communauté
qui se dit représentative d’individus ?Il semble que la
représentativité dont la mairesse de Montréal
parle concerne les communautés. Si l’on transpose cette façon de percevoir la
représentativité aux institutions démocratiques, il semble que pour la mairesse
ce que Rousseau qualifie de volonté générale sur laquelle repose la
souveraineté ne transcende pas les volontés appartenant aux communautés qui la
composent, leur particularité ne s’efface pas au profit de l’universalité
garante de l’égalité du traitement. Car, la communauté, quoiqu’elle fasse, elle est animée par une
volonté particulière qui tend par nature, selon Rousseau, aux préférences
contrairement à la volonté générale qui tend par nature à l’égalité. Selon le
raisonnement de la mairesse de Montréal, la souveraineté doit être un reflet
fidèle de la société.
Toutes les particularités de la société doivent être présentes dans
les institutions étatiques. Dans ce cas les deux religions historiques
appartenant à la majorité des citoyens et citoyennes québécoises doivent, elles
aussi, être visibles dans les institutions. Ainsi, toutes les institutions de
l’État ressembleront à des églises catholiques, car c’est la religion de la
majorité. L’hôtel de ville de Montréal, où siège par ailleurs la mairesse, doit
ressembler à une église.
D’ailleurs, il lui ressemble un petit peu si l’on regarde aux
signes religieux qui ornent ses murs et ses plafonds. Cette vision
multuculuraliste de l’État ne protège pas les minorités religieuses, au
contraire elle fait de ses membres des sous-citoyens. Ce n’est pas un signe
d’ouverture envers les citoyens considérés comme appartenant à des minorités ;
bien au contraire, c’est un signe de fermeture et d’exclusion systémique qui
renvoie le citoyen à son groupe ethnique, culturel ou religieux au lieu de le
considérer comme un citoyen qui a des droits et des devoirs similaires à ceux
des autres citoyens. La vraie ouverture peut venir de la neutralité et de la
représentation citoyenne et non pas de la promotion du communautarisme
religieux.
Par ailleurs, dans sa conception de la représentativité, la
mairesse ne donne aucune place à l’individu. Pour elle, la société est composée
de communautés et non pas d’individus. Elle abandonne l’individu à la
communauté.
Suivant cette logique, il est légitime de se demander qui
représente les individus qui ne sont pas représentés par aucune communauté
reconnue ; ceux que le voile, le turban ou autre signes religieux ostentatoires
ne représentent rien pour eux. Et le moins que l’on puisse dire est qu’ils sont
nombreux. De quelle façon sont-ils représentés par les institutions ?
De plus, dans une société historiquement déterminée par un processus
de sécularisation, n’est-il pas absurde de parler de communautés religieuses et
surtout d’essayer de donner à celles-ci une visibilité politique ? Poussons
cette conception multiculturaliste de l’État jusqu’au bout, la mairesse
est-elle représentante d’une communauté ou de toutes les communautés ? Si elle
est représentante d’une communauté quelle est cette communauté et quel est son
signe ou symbole religieux en dehors de la neutralité qu’elle remet en question
?
Pourquoi ne devrait-elle pas exhiber son appartenance religieuse ?
Lorsqu’on a voté pour elle aux dernières élections, on l’a fait non pas parce
qu’elle est membre d’une communauté religieuse, mais parce qu’elle nous a
présenté, en tant que citoyenne, un programme que nous avons jugé intéressant.
Elle nous a séduits par son programme et non pas par sa religion.
Jusqu’à présent, on ne sait pas si elle est croyante ou pas. Sa religion ne
nous intéresse aucunement, si tant est qu’elle soit à la hauteur de la femme
politique qu’elle a donnée à voir pendant la campagne électorale. Mais avec ce
lien qu’elle fait entre la représentativité et les signes religieux, il semble
que la mairesse remet en question la neutralité de l’État qui ne favorise aucun
individu sur un autre et aucune communauté sur une autre.
Le centre-ville de
Montréal, vu du Vieux-Port
Concernant la communauté dite musulmane, sur quelle base la
mairesse a choisi le voile comme signe représentant cette communauté ? Ce signe
n’est-il pas lui-même objet de débat entre les musulmans ou entre les gens de
culture musulmane croyants ou non ? Que ferait-elle des musulmans qui ne
s’identifient pas au voile ? Ils sont nombreux.
Comment seront-ils représentés ? La culture se réduit-elle à la
religion ou bien a-t-elle d’autres expressions ? Cette façon de concevoir la
culture ne remet-elle pas en question la séparation du politique de la religion
? Autant de questions que les justifications de la mairesse de l’acceptation
des signes religieux ostentatoires dans le corps de police suscitent. Toutes
ces interrogations soulèvent de nouveau la problématique du rapport de l’État à
la religion. Revenant aux agents de police ; il est clair qu’ils sont en
position d’autorité ; ils incarnent le pouvoir de l’État et non pas celui de la
communauté dont ils sont issus. Ils ne sont pas une milice communautaire. Les
policiers sont au service de toute la société et non pas de leur communauté.
Ils sont représentatifs de l’État et non pas d’une société. Ainsi, du moment
que l’État n’est pas une communauté religieuse, ceux et celles qui le
représentent doivent-ils être neutres pour ne pas donner l’impression que le
pouvoir des institutions étatiques sont sectaires.
De plus, ce débat soulève sur le plan sociétal des interrogations
qui méritent réflexion. Il n’y a pas que les convictions religieuses qui
orientent notre carrière professionnelle ; des personnes ont choisi de ne pas
être policiers parce que cette fonction ne correspond pas à leurs convictions
philosophiques, ceux-ci n’aimant pas par exemple la discipline, l’autorité et
l’organisation verticale.Faut-il changer dans ce cas le fonctionnement de la police pour les
intégrer ou bien c’est plus sensé pour eux de choisir une autre profession ?
Que fera-t-on du musulman qui veut travailler dans un abattoir non halal ?
Doit-on lui aménager un espace dans cet abattoir qui correspond à ses
convictions religieuses ? Que fera-t-on du jeune musulman qui souhaite
travailler dans des bars ? En fait, la société offre beaucoup d’emplois qui ne
sont pas adéquats avec les convictions personnelles de ses membres.
En somme, la mairesse ne nous invite pas à une réflexion ; elle se
positionne en moralisatrice qui nous convie à rentrer dans l’ère du temps, du
moins dans sa vision de ce qu’est l’ère du haut de ses œillères idéologiques,
et faire comme d’autres dirigeants font d’ailleurs. Pour elle, un modèle existe
déjà ; il n’y a qu’à mimer ; à l’appliquer chez nous sans aucune considération
à l’opinion de la majorité des citoyens ni au principe de la neutralité
essentiel pour le vivre-ensemble qu’est censé incarner l’État.
Ali Kaidi
Dr en philosophie politique
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