Au moment où le monde et la
Nouvelle Zélande n’ont pas eu le temps de faire le deuil des personnes lâchement
assassinées en pleine prière à Christchurch, que les extrémismes s’aiguisent de
plus en plus et qu’un autre acte terroriste est commis à Utrecht (Pays Bas), la
réflexion qui suit fait partie de la série consacrées au rapport de la laïcité aux
musulmans et à leurs islamistes, publiées par le Huffington Post Québec[1].
Il s’agit de quelques pistes examinées sous un angle singulier et pour une réflexion
commune.
Il arrive souvent que des personnes,
dont plusieurs sont qualifiées d’intellectuelles, énoncent sans se soucier de
leurs conséquences, des sentences embarrassantes invitant à répondre à des questions
dont les auteurs ne peuvent imaginer qu’elles appellent des réponses complexes.
Juste à réfléchir à leur source dans un contexte international fortement
perturbé des cinq dernières décennies exige d’aborder plusieurs facettes de la
problématique avec des hypothèses qui se vérifient pour certaines et restent
sans ouverture pour d’autres. Prenons pour point de départ celles qui
proviennent du Golfe Arabe/Persique, région du monde qui connait des mutations
profondes depuis fort longtemps. Émettons, par exemple, l’hypothèse que des organisations
caritatives financées par les gouvernements commanditent à leur tour elles
financent, au vu et au su de tous, la constitution de groupes de mercenaires islamistes
qualifiés de ‘’djihadistes’’. Ces derniers sévissent partout dans le monde. Ils
causent ainsi des tords irréparables aux populations agressées. Sur un tout
autre plan, ces mêmes monarchies arabo-islamistes soudoient des organisations
économiques et industrielles occidentales sous forme d’achat de produits et de
service. Des alliances entre pays sont ainsi tissées alors qu’elles sont contre
nature : l’Arabie Saoudite couche avec les USA et Israel ; son
protéger, le Qatar avec la France et l’Iran peine à sortir du Khomeynisme mais
se fait bien des amis en Europe.
Un
nouveau monde et de nouveaux paradigmes
Seconde hypothèses validée depuis longtemps.
Dans les espaces des puissances coloniales du siècle dernier des demandeurs
d’asile humanitaire, des réfugiés, des immigrants, des migrants et même ‘’des
refoulés qui reviennent’’ surfent sur la ligne de démarcation entre la fin des
colonies et le début des indépendances. Ils forment de nouveaux groupes
communautaristes, les uns plus dogmatiques que les autres. Des musulmans et
surtout ceux natifs de ces pays, vivent des problèmes d’appartenance
identitaires et exportent leur pseudo combat contre ‘’la colonialité’’. Mais
tous sont mal préparés à s’adapter aux sociétés qui privilégient les libertés
individuelles selon des règles bien établies pour organiser le vivre ensemble
en toute intelligence. Ils sont poussés à ‘’se communautariser’’ et s’inspirent
de l’Islam rigoriste, de faux Hadiths[2]
ou de vrais mais sortis de leur contexte et en ils en usent pour nourrir les
idées des individus vulnérables qui rêvent d’un monde islamique à jamais révolu.
De nouveaux prédicateurs s’autoproclament leaders en chefs de ‘’LA’’ communauté
musulmane et impactent l’organisation sociétale par leurs propos en déphasage
total avec les aspirations des citoyens. Mais rien, absolument rien, dans leurs
discours ne met en valeur les instruments du rapprochement que sont les changements
technologiques, l’apport des sciences et des savoirs multiples et divers, les
arts et la littérature, les sports et l’écologie. Parmi leurs thèmes de prédilection,
la femme est au centre de leurs préoccupations et reste le sujet ‘’le plus abhorré’’
mais aussi le plus commenté, pour toujours la réduire à une ‘’chose’’, à une
machine de reproduction.
La laicité et les islamistes
Les
islamistes le clament haut et fort la laicité n’est pas compatible avec l’Islam,
ils la qualifient de ‘’Kufr’’, c’est à dire d’incroyance, de blasphème si ce
n’est d’athéisme. Celui qui se dit laic est par conséquent athée. Tout athée
est punissable de la peine capitale comme le sont tous les apostats. Heureusement,
que tout à
l'opposé de cette ligne extrémiste, un chercheur, islamologue et lucide, le
défunt Malek Chebel a plaidé pour un « islam des Lumières[3]
», notion qui donne son titre à un de ses derniers ouvrages. Comme pour
instruire les intégristes de tous bords, il assène qu’‘’associer l'islam aux Lumières
c’est abonder dans la relation déjà inscrite dans la dynamique amorcée au XIXe
siècle et poursuivie par les nombreux réformistes qui ont voulu changer le
visage de cette religion en s'appuyant sur le travail de la raison’’.
La
laicité et les musulmans
Les musulmans ne forment pas un
groupe monolithique ils sont organisés sur une matrice en segments placés les
uns à côté des autres, indépendants mais aussi reliés par cinq[4]
piliers auxquels tous adhèrent sans aucune divergences. Cependant, à
l’intérieur de chaque silo les valeurs, les principes, les codes de vie, les
pratiques et les références aux écoles de pensées jurisprudentielles, aux dogmes
et aux identités locales sont à quelques éléments près différents par leurs
contenus et leurs formes.
Dans le monde
les laïcs musulmans sont nombreux. Ils vont dans le même sens que des penseurs Algériens, Tunisiens,
Marocains et Égyptiens, parmi une pléiade d’autres penseurs musulmans, qui se
sont penchés sur la problématique de cette compatibilité de la laïcité et de l’Islam.
Au cours des décennies Mohamed Arkoun[5]
et Malek Chebek[6] ont été les
plus éclairants. Le premier a relevé que ‘’la laicité est une valeur à défendre
y compris pour le monde musulman, sous réserve de la nécessité de prendre en
compte les spécificités de cette culture et de son histoire. Cette défense de
la laïcité, s'accompagne ainsi de la critique d'une certaine tradition
historique, plus particulièrement la française. Si la laïcité peut s'exporter
son histoire ne peut l’être. Il souligne que la conscience collective musulmane
actuelle ne connaît pas cette rupture psychoculturelle, qu'on constate depuis
au moins le 19ième siècle, dans l'Occident sécularisé’’. Bien
entendu, Mohamed Arkoun a exprimé des réserves en précisant que ‘’Pour sauver
le monde musulman de ses démons et le sortir de ses impasses, il est essentiel
que l'islam accède à la modernité politique et culturelle’’.
La
laicité au Québec
Au Québec, tant que l'État n’a pas
pris position en faveur des valeurs fondamentales du pays, la question de la
laicité a été, est et sera pour un long moment critiquée. Le gouvernement ne doit
pas, par ses hésitations et des lectures à contrecourant de ce que la société attend
de lui, impulser la fragilisation des assises démocratiques que tant de
générations - y compris libérales - ont contribué à bâtir. S’opposer à la majorité
des citoyens qui l’ont élu, c’est se positionner contre les libertés
individuelles selon les règles préétablies et leurs effets sur la collectivité
nationale.
Nous savons
que chaque être humain est éprouvé en fonction du chemin de vie qui est le sien
mais nous savons aussi que
la laïcité n'est pas négociable. Au Québec, l'adoption d'une charte qui l’arrime
à celle des droits et libertés est plus qu’une nécessité. Elle est une exigence
d’une société moderne, progressiste et égalitaire tant pour ses citoyens que
pour ceux dont les pratiques extrémistes ont une influence palpable sur le
vivre ensemble.
Ferid Chikhi
[3]https://books.google.ca/books/about/Manifeste_pour_un_islam_des_Lumières.html?id=g2oNmwEACAAJ&source=kp_cover&redir_esc=y
[4] La foi en un seul Dieu et Mohamed son dernier prophète,
la prière, l’aumône, le jeûne et le pèlerinage.
[5] Mohammed Arkoun, Algérien,
humaniste, laïque, militant actif du dialogue interreligieux, les peuples et
les hommes. Il plaidait pour un islam repensé dans le monde contemporain.
[6] Malek Chebel,
Algérien, anthropologue des religions. Fit ses études Algérie, puis en France. À
Paris il approfondit la psychanalyse. Il enseigna dans de nombreuses
universités à travers le monde. Il décède le 12 novembre 2016,
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