Lettre ouverte à Catherine Dorion, députée
''Ne peut sentir l'intensité de la braise que celle/celui qui a déjà posé le pied dessus''
Adage Algérien
Dans
votre vidéo qui porte sur le voile et que vous adressez « aux nouveaux curés »,
vous parlez d’une religion qui s’appelle islam. Mais plus je vous écoutais,
plus je découvrais votre ignorance abyssale de cette religion dans les pays où
elle est force de loi, et surtout du combat des femmes qui y vivent !
Avec
cette vidéo, vous n’apportez rien de nouveau dans ce débat de société légitime
et indispensable, si ce n’est de répandre des faussetés qui dénaturent ma
religion et celle de mes parents. Ce n’est pas parce qu’on répète une fausseté
qu’elle finit par devenir vérité.
Dans
votre vidéo, vous intervenez en tant que députée et non comme auteure. En tant
que députée, vous ne pouvez pas vous permettre de froisser une communauté. Ici,
il s’agit de la communauté musulmane. Celle-ci, loin d’être monolithique, est
traversée par plusieurs courants. J’ai
grandi dans une famille musulmane traditionaliste et pratiquante. Mon père
était autodidacte, ma mère et ma grand-mère illettrées. Ce sont ces personnes
qui m’ont appris l’islam et qui m’ont poussée à le lire, à le comprendre, mais
surtout à ne pas m’arrêter à la lecture littérale et encore moins de colporter
les faussetés qui sont préjudiciables aux femmes surtout.
Il
est vrai que toutes les religions n’offrent aux femmes que des strapontins. Et
c’est aussi dans cette famille que j’ai appris à me servir de l’ijtihad (effort
intellectuel qui est issu de la tradition islamique depuis de nombreux siècles)
pour lutter contre les dogmes et les blocages dans l’interprétation du Coran.
Le
voile fait justement partie de ces erreurs d’interprétation. Ainsi, le voile
que des femmes portent sur la tête et que vous semblez trouver anodin, sachez
qu’il n’a aucune existence dans le Coran. Vous
gagneriez à lire sur ce sujet que vous défendez au nom du droit à la
différence. Le voile n’est pas musulman, c’est notre étoile jaune, à nous,
femmes musulmanes et non islamistes. Il est imposé par l’islam dévoyé par
l’alliance du politique et du religieux depuis près de 40 ans. C’est cette
vision islamiste qui a fait que j’ai dû quitter mon Algérie pour me réfugier au
Québec pour échapper à mon exécution, cette vision fondamentaliste que votre
parti semble avoir adoptée en son sein sans même en comprendre les dangers.
Il
n’y a aucun rapprochement à faire entre porter un piercing ou une tuque et
porter un voile : ne pas les porter n’entraîne pas la mort pour les premiers,
alors que déroger à une interprétation fondamentaliste de l’islam, comme c’est
le cas pour le voile, peut mener la femme au fouet, à la prison, voire à la
mort.
Le voile fait justement partie de ces
erreurs d’interprétation
Dans
les pays où l’islamisme s’est imposé, les femmes prennent le risque d’une
agression chaque jour non pour une faute commise, mais tout simplement parce
qu’elles sont femmes. Ces
femmes, je les admire pour ce qu’elles osent entreprendre dans un pays où le
911 n’existe pas. Pourriez-vous les regarder dans les yeux et leur dire que le
voile que vous défendez au Québec a une autre connotation, qu’il est le symbole
du libre choix ? Ma
mère qui le portait par tradition imposée l’a toujours haï. Nous, les filles de
l’indépendance, nous ne l’avons jamais porté. C’était une époque où les hommes
de ma société étaient plus attachés à la modernité et au progrès qu’aux cheveux
de la femme, devenus source de perversion.
Chaque
geste que vous poserez ici pour rendre l’islam politique acceptable fera
reculer le combat de ces femmes et fera la joie des islamistes qui imposent ce
voile dans les pays musulmans. Si vous étiez mère de deux filles comme je le
suis, trouveriez-vous normal qu’elles doivent se cacher les cheveux pour
qu’elles ne souillent pas la pensée des garçons qu’elles côtoient ? En fait, le
voile n’est pas une question de modestie et de pudeur, mais bien un moyen de
contrôle du corps de la femme.
Il
était de tradition chez la gauche de porter la cause des opprimées où qu’elle
soit. Aujourd’hui, nous constatons que cet idéal est remplacé par le
relativisme culturel, qui, pour nous, les musulmanes, est la plus haute forme
de mépris, puisqu’ici, nous sommes invisibles et inaudibles si nous ne sommes
pas voilées.
Prenez
le temps de lire Olfa Youssef, Ani Zonneveld, Fatima Mernissi, Mohammed Arkoun, Rachid
Benzine, Soheib Bencheikh, Tahar Haddad, Chahla Chafiq, pour ne citer
que ces quelques réformistes, qui sont de plus en plus nombreuses et nombreux
et qui font face à l’islam politique commandité à coups de pétrodollars et
relayé par la gauche communautariste.
Les
religions nous ont assez asservies, et votre rôle de députée n’est point de
nous y emprisonner. Votre rôle ne devrait-il pas consister à nous aider à nous
affranchir de cette déviance sociale ?
Leila Lesbet
https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/543829/le-voile-est-un-moyen-de-controle-du-corps-de-la-femme
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