vendredi 18 décembre 2020

Choc culturel et discrimination allégués se sont invités au procès contre la Loi 21

En 2019, Hadrien Mathoux du journal français Marianne soulignait l’alliance de trois piliers de la contestation de la Loi 21: celui des religieux, celui d’une certaine gauche radicale, celui des libéraux favorables au multiculturalisme. Le procès de la Loi 21 a pris fin mardi le 16 décembre et a confirmé cette alliance, révélant partis pris et préjugés dont l’analyse serrée devra se faire un jour.

«Clash » culturel et multiculturalisme
Lors de sa plaidoirie le 7 décembre, l’une des avocats de la Commission scolaire English-Montreal (MSB), Me Perri Ravon (qui n’a jamais salué le juge Marc-André Blanchard en français, bien qu’elle le parle parfaitement), a admis d’entrée de jeu que la Loi 21 s’inscrit dans le contexte historique et culturel du Québec, et est adapté à son histoire et à sa tradition juridique. Cependant le Québec ne peut pas imposer sa culture dans les écoles anglaises minoritaires.
Elle estime que la Loi 21 « réglemente » le cadre culturel de l'enseignement en
anglais et interfère avec les préoccupations culturelles de la communauté anglophone du Québec ». Il y aurait un clash entre la législation et la culture de la minorité anglophone. Cette assertion n’est pas sans rappeler la thèse du fameux choc (clash) des civilisations prédit par Samuel Huntington dans un article publié dans Foreign Affairs en 1993 et un livre sur la question. Selon Me. Ravon, les écoles anglaises auraient un « mode de vie » (a way of life) spécifique. Ainsi, dans le quartier Côte St-Luc de Montréal, enseignants et enseignantes portent le voile ou les signes du judaïsme orthodoxe et célèbrent les fêtes et les congés religieux. Une politique multiculturelle et multiraciale encourage la diversité, alors que la Loi 21 envoie un message d’intolérance, incite à des frictions, ne défend pas les modèles de rôle associés à la présence de la diversité pour les enfants. L’article 23 de la Charte canadienne qui concerne les droits à l’instruction dans la langue de la minorité doit être interprété, a-t-elle soutenu, « d'une manière compatible avec la préservation et la mise en valeur du patrimoine multiculturel du Canada », soit avec l’article 27 de la Charte : « Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens ». Me Ravon cite le philosophe Jocelyn Maclure (expert au procès pour les parties contestataires de la Loi 21), selon qui les accommodements dans le système anglophone sont une pratique « naturelle ». Un fait de nature, d’essence pourrait-on dire. Or, langue et culture ne sont pas des synonymes et la minorité anglophone, soulignons-le, inclut des citoyens de diverses origines et de diverses cultures, pas nécessairement partagées…
Partis pris et préjugés
Ce type de raisonnement, intenable sur le plan sociologique, reposerait-il sur la prémisse de la supériorité de la minorité anglophone? Ou s’agit-il plutôt d’un choc politique plutôt que culturel, lequel choc s’inscrit dans la tension historique entre le multiculturalisme canadien rejeté par tous les gouvernements du Québec et le modèle de l’interculturalisme québécois que ne semblent pas reconnaître comme légitime les parties contestataires de la Loi 21?
L’idée de supériorité institutionnelle et culturelle de la minorité anglophone est d’autant plus offensante qu’elle masque le riche acquis des politiques publiques du Québec: programmes d’accès à l’égalité en emploi, dialogue et éducation interculturels dans le monde de l’éducation ont été mis en œuvre depuis des décennies, comme en témoignent les nombreux spécialistes en la matière et observateurs étrangers (députés, chercheurs, postdoctorants) venus au Québec expressément pour s’en informer.
En lisant certains rapports d’experts et en entendant leur argumentation sur team, j’ai ressenti la désagréable impression que la majorité francophone, qualifiée de « blanche » (ciblant au fond les ex. Canadiens français), porte en elle une tendance inhérente au repli sur soi et à la discrimination. Ainsi, selon le psychologue Richard Bourhis (autre expert au procès pour les parties contestataires de la Loi 21), dont le rapport se base sur une méthodologie hautement problématique voire invalide, ce qui serait en cause, c’est l’opposition des catégories « Eux/Nous », soit les minoritaires victimes de discrimination, d’un côté, et la « majorité nationale québécoise francophone », oppressive, de l’autre côté. Sa thèse est la suivante: La Loi 21 « interdit le port des signes religieux à certaines catégories de personnes dans les institutions de l’État québécois. Entre autres, ces dispositions de la Loi sur la laïcité de l’État ont pour but avoué, à long terme, d’exclure par l’usure toutes les minorités religieuses portant des signes religieux du système scolaire du Québec », ce qui leur causera des torts psychologiques certains, sans compter d’autres dommages médicaux et sociaux qu’il a énumérés lors de son intervention. La « minorité brune » des musulmans (une catégorisation inacceptable) serait opprimée par le groupe majoritaire.
À noter, ces propos ont été bien reçus par le juge Marc André Blanchard, un juge très conciliant à son égard, et qui, par ailleurs, a posé la question suivante plus d’une fois aux experts du gouvernement du Québec: «Si un enseignant était « noir », refuserait-on de l’embaucher?», établissant ainsi un lien saugrenu entre un attribut biologique et un attribut religieux que l’on choisit, en plus d’être hors d’ordre puisqu’il ne s’agit pas d’embauche, mais de devoir de réserve du personnel enseignant durant les heures de travail.
Décolonialité et racisme systémique en toile de fond
Témoins et experts de la partie contestataire de la Loi se sont concentrés essentiellement sur la question des musulmanes voilées. Or, si ces femmes ont invoqué des motifs individuels
de modestie et de convictions profondes lors du procès, on ne doit pas nier l’appui qu’elles reçoivent du mouvement décolonial et des spécialistes de la nouvelle doxa de la « blanchité », dont le discours sur le racisme systémique se situe à des années-lumière du multiculturalisme, de l’interculturalisme et de la citoyenneté partagée. La décolonialité, en particulier, se consacre à l’analyse des hiérarchies et des dispositifs de domination et d’exploitation à l’échelle mondiale, produits par les administrations coloniales et dont les effets (racistes, sexistes, etc.) systémiques persistent dans les sociétés contemporaines. Cette thèse que j’estime très importante (tout comme celle des études postcoloniales, et que j’ai enseignée à l’Université), en particulier pour l’analyse de la question autochtone, est utilisée parfois à mauvais escient quant à la question nationale québécoise, avec un agenda politique caché que je ne partage pas, du moins en ce qui concerne la Loi 21. Et ce discours radical, parfois irresponsable, se devine en filigrane sous l’intervention affichée des contestataires de la Loi 21.
L’ironie veut que le grand absent dans cette affaire soit l’analyse et la prise en compte de l’alliance des courants religieux intégristes internationaux, de l’islam politique pour ne pas le nommer, et de leur véritable agenda. Un enjeu politique que ne peut laisser échapper la société québécoise.
Un jour les minutes transcrites du procès illustreront mot à mot les arguments entendus. Des étudiants de doctorat pourront
en faire l’objet de leur thèse et sans doute démontrer et conclure que le champ juridique et le champ scientifique sont des champs de lutte pour l’autorité, comme aimait le rappeler le sociologue Pierre Bourdieu.
Micheline Labelle, Ph.D
Professeure émérite de sociologie, 
Université du Québec à Montréal

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