mercredi 20 septembre 2023

Savoir versus ''Performance''

 

Une énième attaque contre la liberté d´expression

 Constantin Schreiber (c) Picture-alliance / dpa / Britta Pedersen,

Source: deutschlandfunk.de

Cette fois, la victime est Constantin Schreiber. Un Journaliste allemand. Le fondateur de la Deutsche-Toleranz-Stiftung, qui œuvre à faire vivre le dialogue et l´échange entre des personnes d´horizons et d’opinions divers.

En 2015, lorsque plusieurs milliers de réfugiés arrivèrent en Allemagne, Constantin Schreiber présentait l'émission "Marhaba - Ankommen in Deutschland" (Bienvenue - Arrivée en Allemagne), pour laquelle il reçut le prix Grimme en 2016. Dans cette émission, avec une parfaite maitrise de la langue du Coran, l’arabe, Schreiber explique, aux nouveaux arrivants la vie en Allemagne, les lois du pays, la liberté religieuse, les droits de la femme etc. afin qu´ils puissent se repérer facilement dans leur pays d´accueil.

À partir de ces quelques éléments, on peut imaginer que ce journaliste, maitrisant parfaitement la langue arabe et connaissant indubitablement le monde dit arabo-musulman, dérange !

Lors d'une conférence à l'université d'Iéna en août dernier, Schreiber a été agressé par un jeune, qui lui lança une tarte au visage. Suite à cette agression, le journaliste annonce ne plus se prononcer sur toute question relative à l´Islam.

Oui, l´agression a eu lieu dans un des amphithéâtres de l´Université Friedrich-Schiller. Ce n'est pas la première fois que des voix "dérangeantes" sont attaquées dans les enceintes d´universités allemandes – pas seulement allemandes d´ailleurs ! Ces lieux de savoir, où les étudiants apprenaient autrefois la culture du débat sont devenus aujourd'hui des lieux « de performance », comme les auteurs de ces d´agressions les qualifient.

L´agresseur, d´après la vidéo publiée, est un jeune blanc, probablement un bien-pensant, un Woke, quoi ! qui se croit tellement éveillé, qu´il n´a pas compris que les propos de Schreiber sont toujours factuels, rationnels et analytiques - sauf dans son roman « La candidate », puisqu'il s'agit d'une dystopie !

On ne connait pas (encore) l´identité de ce jeune illuminé, car après son acte de violence, preuve de sa petitesse et de son ignorance, il s´est enfui, preuve de sa lâcheté.

Ce jeune ne connait probablement pas cette célèbre citation « Donnez la liberté de penser » de Schiller, nom que porte l´université, où il s´est opposé à la liberté d´expression d´un journaliste et à la liberté de penser de ce dernier et des auditeurs présents dans la salle. Savoir versus Performance !

Ce jeune adhère-t-il à la nouvelle pensée dite antiraciste selon laquelle toute personne qui ne fait pas l´éloge de l´islam et surtout de l´islamisme est un raciste antimusulman ? Et selon laquelle l´islam, une religion, et l’islamisme, idéologie fanatique qui en découle, seraient devenues une race ? Cette nouvelle vague a revisité la thématique de la race !

Ce jeune fait, probablement, partie de ces bien-pensants, qui considèrent, qu´il faut absolument protéger les musulmans, comme s´ils étaient des êtres faibles et sans conscience politique, inaptes de se défendre. Ces non-musulmans qui minorent les musulmans et par conséquent se considèrent supérieur à derniers, ne se rendent même pas compte qu´ils reproduisent la pensée des racistes et des suprémacistes blancs.

Cela n´a aucun lien avec le progressisme et c’est même l´antonyme de l'expression stay woke (rester éveillé) des années 1930, qui traduisait une première prise de conscience des problèmes sociaux et politiques qui touchaient et touchent encore les Afro-Américains.

Mais revenons à Monsieur Constantin Schreiber et à son agression : Ce jeune journaliste de 44 ans a décidé de ne plus se prononcer sur le sujet de l´islam, ce qui est compréhensible après cette attaque mais aussi les diffamations et les menaces qui ont précédé.

Notons que le soutien de ses collègues journalistes et de l'université de Iéna n´a pas été très encourageant, tellement il a été presque inaudible [1] !

Sommes-nous arrivés au point où même les déclarations pacifiques de solidarité contre la violence, contre les attaques à la liberté d´expression seraient devenues de la collaboration fasciste ?

Si nous acceptons le bâillon en renonçant peu à peu à la liberté d´expression, à la liberté de penser et d’agir, à la solidarité alors nous ouvrirons, malgré nous, les portes de l’obscurantisme.

Paradoxalement, ce silence consentant et consternant me rappelle le courage de Tahar Djaout et de bien d´autres journalistes et féministes algériens. Tahar Djaout, écrivain et poète algérien, premier journaliste assassiné en 1993, à l’âge de 33 ans, par des fanatiques islamistes. Son crime : il dérangerait l’obscurantisme à travers son amour pour la liberté, la poésie et de la réflexion. Il nous a laissé un puissant héritage : “Le silence, c'est la mort, et toi, si tu te tais, tu meurs et si tu parles, tu meurs. Alors dis et meurs !”.

Je pourrais aussi dire que Schreiber manque de courage en déclarant ne plus vouloir se prononcer sur des sujets rendus hypersensibles voir tabous par l´idéologie woke et néo-gauchiste, qui s´entre-nourrissent tout en déculpabilisant l´islamisme, l´extrême droite et tous les extrémismes

Cependant, je comprends et respecte la décision de monsieur Schreiber. Mes parents, des démocrates laïques de gauche engagés politiquement en Algérie durant la décennie noire ont été menacés de mort. Moi-même, j´ai été attaquée en Allemagne pour mes positions de féministe laïque universaliste. Et je ne citerai pas la longue liste d´autres voix inspirées par la pensée des lumières, qui ont été agressées, menacées, qui vivent sous protection policière et d’autres assassinées.

Qui veut être confronté quotidiennement à la haine, particulièrement lorsque l'État et la classe politique pratiquent la politique de l'autruche, comme c´est le cas en Allemagne ?

Monsieur Schreiber, je vous remercie pour vos contributions qui m´ont, en tant qu'immigrée de culture musulmane en Allemagne, toujours incitée à la réflexion et à l'objectivité dans le débat sur les questions de l'islam, de l'intégration et de l'islamisme. Je regrette qu’un apport précieux tel que le vôtre me soit retiré, ainsi qu'à la société allemande et au journalisme. J’ose espérer que votre décision ne sera pas définitive.

Naïla Chikhi

*L'auteure a travaillé en Allemagne en tant qu´experte sur les thèmes de l'intégration et des droits des femmes dans différents groupes de réflexion. 

Elle a dirigé des formations et des séminaires pour des pédagogues ainsi que des groupes de discussions avec des jeunes femmes réfugiées et immigrées. 

Elle a dirigé des ateliers dans le cadre d'une initiative de promotion de la démocratie et de la prévention contre l'extrémisme. 

Elle est l´une des premières signataires de l'appel pour le maintien de la loi berlinoise sur la neutralité. 

Elle est membre fondatrice de l´initiative Migrantinnen für Säkularität und Selbstbestimmung (femmes immigrées pour la laïcité et l´autodétermination). 

Naila Chikhi est lauréate du Prix des droits de l'homme 2021 de la Fondation Ingrid zu Solms de Frankfort-Allemagne.

Elle est membre du Fellowship

[1] Note : Entre-temps, l'université d'Iéna et la librairie co-organisatrice de la conférence ont publié une nouvelle déclaration, relayée par le Spiegel. Un entretien sur la culture du débat et les attaques contre les journalistes serait prévu. Schreiber aurait accepté d´y participer.

** Ce texte est paru en allemand sur https://hpd.de/artikel/weiterer-angriff-meinungsfreiheit-21599 et traduit au français par l’autrice Naila Chikhi.

jeudi 7 septembre 2023

Yolande Geadah

6 septembre 2023

Hommage à Yolande Geadah, 

militante convaincue et convaincante

Le 22 août 2023 nous quittait la militante, chercheuse et intellectuelle Yolande Geadah. Elle est partie discrètement, comme elle a vécu. Mais peut-on être ou rester discrète quand on a voué sa vie à la condition de la femme dans les sociétés dites arabo-musulmanes, mais aussi dans toutes les sociétés où la femme est spoliée de ses droits ?

Yolande Geadah était une femme convaincante, mais surtout convaincue qu’une société ne peut et ne saurait progresser sans le respect des droits des femmes, sans le respect de leur dignité, sans le respect de leur intégrité, sans tout simplement cette égalité inconditionnelle entre les femmes et les hommes qui fait progresser les sociétés vers plus de justice et de progrès.

Au regard du patriarcat, de la religion et de la misogynie, naître femme est une fatalité et c’est là que la puissance de l’œuvre de Yolande prend tout son sens. Yolande Geadah était une femme de terrain, une observatrice fidèle aux principes humanistes qu’elle avait toujours défendus.

Lorsque les droits des femmes sont déviés au nom de la bienveillance communautariste, Yolande prenait sa plume pour nous rappeler le danger qui guette les petites parcelles acquises par les femmes depuis les siècles.

Lors des débats autour des accommodements raisonnables, Yolande osa un essai, Les accommodements raisonnables. Droit à la différence et non différence des droits, où elle nous invitait à une réflexion sur les balises à mettre en place afin de préserver les droits et les valeurs qui nous sont chers telles que l’égalité des sexes et la laïcité. Elle termina son essai par cet emprunt au philosophe Michel Onfray : « Il ne faut pas laisser le communautarisme tuer la communauté. »

Yolande était une observatrice efficiente des faits sociétaux de son temps. Soutenue de ses recherches et de ses analyses fouillées, elle n’a jamais craint de prendre sa plume pour informer, dire et éveiller les consciences sur les dangers qui guettent les droits des femmes et sur cette égalité encore bien fragile entre les femmes et les hommes.

Dans son livre Femmes voilées. Intégrismes démasqués, Yolande Geadah, riche de ses séjours en Égypte, décrypte les tenants et les aboutissants de cette idéologie soutenue certes par les religieux à des fins de pouvoir et de domination des peuples et surtout des femmes. Elle met aussi en lumière l’idée que « l’hypocrisie des puissances occidentales dénonçant l’intégrisme des uns tout en continuant à appuyer l’intégrisme des autres nous prépare un réveil brutal ».

Dans son livre La prostitution. Un métier comme un autre, Yolande Geadah s’est attaquée au « plus vieux crime au monde » tel que le définissait notre amie Diane Guilbault. Pour Yolande Geadah, il n’est pas question de nier que c’est une forme d’exploitation sexuelle et elle se disait interpellée par le discours déstabilisant en faveur de la reconnaissance du travail du sexe comme métier libre et consenti.

Par son expertise sur des sujets spécifiques aux femmes, Yolande Geadah publia plusieurs textes dans différents médias et rédigea trois avis pour le Conseil du statut de la femme — « La polygamie au regard du droit des femmes » (2010), « La prostitution : il est temps d’agir » (2012) et « Les crimes d’honneur : de l’indignation à l’action » (2013).

Yolande Geadah, intellectuelle avisée, infatigable et toujours volontaire pour faire avancer les droits des femmes, contribua au procès de la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21) à la Cour d’appel du Québec par son expertise inégalée basée sur sa connaissance du monde arabo-musulman.

Les personnes de l’envergure de Yolande Geadah ne disparaissent jamais. Elles restent des références et nous poussent à plus d’engagements pour les femmes d’ici et d’ailleurs qui luttent pour exister.

Généreuse, elle nous a laissé un travail colossal, fruit de ses recherches et de sa réflexion sur divers sujets toujours en lien avec les droits des femmes.

Le nom de Yolande Geadah ne peut rimer avec indifférence, mais se conjugue naturellement avec générosité et engagement.

Merci, Yolande, pour cet héritage, nous te promettons que nous en prendrons soin. Tu resteras une guide et une amie aussi précieuse que généreuse. Nos pensées vont vers ton mari, tes enfants ainsi que ta parenté.

À toi, Yolande, notre reconnaissance.

Andrée Yanacopoulo, 

Leila Lesbet, 

Christine Lévesque, 

Aude Exertier, 

Nabila Ben Youssef, 

Ghislaine Gendron 

Luce Cloutier.



Les petits contes voilés*

Le voilement des fillettes soulève des questions importantes quant à sur leur liberté, leur autonomie corporelle et leur dignité, en particu...