vendredi 13 avril 2018

Les signes religieux renvoient au clientèlisme religieux


Lettre ouverte à la Mairesse de Montréal 
Madame la Mairesse,
Nous tenons à vous faire part de notre profonde consternation face à votre déclaration d'être « très
ouverte » à l'introduction de signes idéologiques à caractère religieux, notamment le hijab, dans les services policiers. Par quelle logique serait-il admis qu'un représentant ou une représentante d'une institution étatique arbore sa croyance religieuse ou politique ?
On ne peut que saluer votre volonté d'assurer la pleine participation de tous les Montréalais et Montréalaises dans la fonction publique municipale. Le SPVM n'est pas exempté d'appliquer les programmes d'accès à l'égalité permettant de lutter contre la discrimination à l'emploi.
Mais cela ne consiste pas à modifier les règlements afin de se plier aux exigences des demandeurs d'emploi est simple : Des citoyens et citoyennes en tant qu'individus, et non pas en tant que membres de communautés religieuses.
C'est d'autant plus aberrant dans une société historiquement déterminée par un processus de sécularisation, qui lui a permis de se détacher de l'emprise de la religion catholique. La majorité historique du Québec serait-elle la seule à pouvoir bénéficier de cette sécularisation ? Les minorités seraient-elles condamnées à être représentées par des supposés groupes religieux ?
Les minorités seraient-elles condamnées à être représentées par des supposés groupes religieux ?
Nous avons maintes fois dénoncé le fait que nous soyons associés à une « communauté musulmane », représentée, de surcroît, par une idéologie de l'islam politique, aujourd'hui fortement décriée, y compris dans son pays d'origine, l'Arabie saoudite.
En lien avec votre initiative d'une Table sur la diversité, l'inclusion et la lutte contre les discriminations, nous vous invitons à prendre connaissance de notre mémoire déposé dans le cadre du Forum sur la valorisation de la diversité et la lutte contre la discrimination du ministère de l'Immigration.
Nous y expliquons que cette vision stéréotypée des musulmans, ainsi que les demandes d'accommodement de la part de représentants auto-proclamés de ladite communauté musulmane, est une entrave à notre intégration. C'est ce que nous expliquons également dans le Manifeste pour un islam de liberté et de citoyenneté. Merci de tenir compte de nos arguments avant d'entreprendre des modifications aux règlements de la Ville dont nous pourrions faire les frais.
Pour ce qui est du hijab, sur quel fait vous basez-vous pour considérer qu'il est représentatif des musulmanes ? Il fait l'objet de débats à l'intérieur même du monde musulman. Le SPVM devrait-il alors s'assurer de représenter aussi la femme musulmane non-voilée ? Et comment le faire ? Il est illégal pour un employeur de demander la religion de son employé.
La Charte des droits et libertés de la personne, rédigée au moment où le Québec se libérait du contrôle excessif de l'Église catholique, a permis que la religion ne soit plus un marqueur de la personne. Cet anonymat religieux est une avancée et un élément de progrès dans une société. Souhaitez-vous faire marche arrière sur ce principe ?
Cet anonymat religieux est une avancée et un élément de progrès dans une société. Souhaitez-vous faire marche arrière sur ce principe ?
À en croire le conseiller municipal Marvin Rotrand, l'enjeu consisterait tout simplement à mettre au point « un modèle approuvé de hijab », comme si l'affaire se résumait à de simples considérations sécuritaires et vestimentaires. Or, les signes religieux sont lourds de signification. Ils renvoient à des idéologies qui sont souvent source de tensions, et évoquent parfois des événements sanglants.
Par exemple, le voile est symbole de violence pour beaucoup de femmes ayant vécu la guerre menée par les islamistes contre les civils en Algérie, ou pour celles qui viennent d'Iran où enlever le voile signifie la prison. Comment ces femmes pourraient-elles se confier à une policière en hijab ? Il en est de même pour toutes celles qui ont fui son imposition par la barbarie. Avez-vous pensé à elles ?
Au-delà du discours idyllique des promoteurs du voile, la vérité est toute autre. Il est une barrière efficace imposée aux femmes pour restreindre leur champ de liberté et contrôler leur sexualité. En aucun cas l'assouplissement des lois et règlements pour permettre le voile n'aidera les femmes à s'émanciper. Les lois laïques sont celles qui protègent le mieux les droits des femmes.
Madame la Mairesse, en affichant une grande ouverture au voile, vous privilégiez une idéologie qui s'imprègne de l'intégrisme islamiste et, par la même, vous « pavez l'enfer des autres de vos bonnes intentions », pour reprendre les termes de Chahdortt Djavann, une femme qui a subi le régime islamique d'Iran.
Les exemples internationaux ne manquent pas pour illustrer le contrôle de la femme par le voile. Ici même au Québec et au Canada, plusieurs cas de crimes d'honneurs liés au voile sont répertoriés, dont récemment un père de famille de Gatineau accusé au criminel, car il battait sa fille qui refusait de porter le hijab. D'après l'agente chargée du dossier, l'adolescente « a trouvé le courage de dénoncer la situation ». Croyez-vous que la jeune fille se serait confiée si l'agente avait été voilée ?
Les policiers et policières sont des intervenants de première ligne. La priorité n'est pas d'assurer du travail dans la police aux femmes qui refusent de se plier aux règles de l'emploi. Elle est de s'assurer de la sécurité de tous les citoyens et citoyennes et de les protéger de toute pression communautariste indue ou de harcèlement psychologique.
Alors que l'uniforme du policier renvoie une image de neutralité, les signes religieux renvoient celui d'un clientélisme religieux.
Alors que l'uniforme du policier renvoie une image de neutralité, les signes religieux renvoient celui d'un clientélisme religieux. N'est-ce pas de manquer de respect au citoyen que de lui imposer un tel message symbolique contradictoire ?
Madame la Mairesse, permettre le port de signes religieux aux représentants de l'État constitue un inversement du devoir de neutralité, comme le dit Guy Rocher, un des pères de la Révolution tranquille. La majorité des Québécoises et Québécois, de toutes origines, n'en veut pas.
En 2013, un sondage Léger montrait que 78% des personnes sondées étaient pour une interdiction des signes religieux chez les policiers, et le sondage CROP/Radio-Canada de mars 2017 montre que 76% des personnes sondées sont favorables à l'interdiction des signes religieux pour toutes les personnes en position d'autorité.
Il serait bon, de ne pas balayer du revers de la main cette aspiration des Québécois, sous prétexte que c'est « dans l'air du temps ». C'est par une réelle laïcisation des institutions de l'État, et en tout premier lieu la police, qu'il est possible d'accueillir tous les citoyens, dans le respect et l'ouverture, quelle que soit leur origine nationale, ethnique ou religieuse.
Veuillez agréer, Madame, nos sincères salutations.
Ferid Chikhi, Conseiller en emploi
Nadia El-Mabrouk, Professeure, Département d'informatique, Université de Montréal
Ali Kaidi, Doctorat en philosophie et
Leila Lesbet, Enseignante TES
Pour l'Association Québécoise des Nord-Africains pour la Laïcité (AQNAL)

Autres signataires :
Mohand Abdelli, P.Eng.
Nora Abdelli, Infirmière
Saleha Abdenbi, Enseignante
Fatima Aboubakr, Directrice de garderie
El Mostapha Aboulhamid, Professeur, DIRO, Université de Montréal, à la retraite
Rachida Ait Tahar, Enseignante
Idir Atif, Ébéniste
Katia Atif, Intervenante communautaire
Amani Ben Amar, Agente financière, CIUSSS-Centre Sud de l'île de Montréal
Radhia Ben Amor, Coordinatrice de recherche
Leila Bensalem, Enseignante
Adel Bichara, Ex-propriétaire d'entreprises, à la retraite
Nawal Bouchareb, Citoyenne
Zahra Boukersi, Enseignante
Amel Chikhi, Biologiste
Hassina Chouaki, Citoyenne
Claude Kamal Codsi, Entrepreneur
Nariman Derky, Poète
Hakima Djermoune, Inspectrice au contrôle de la qualité pharmaceutique
Nadia Fahmy-Eid, Historienne féministe
Aziz Farès, Auteur et journaliste
Ines Hadj Kacem, Étudiante
Amel Haroud, Gestionnaire
Hassiba Idir, Gestionnaire
Idriss Idir, Ingénieur
Nacer Irid, Ingénieur
El-Houssine Idrissi, Concepteur ingénierie
Fadhila Jabnoun, Retraitée
Rabah Kadache, Enseignant
Samy Kartout, Administrateur de systèmes informatiques
Radia Kichou, Citoyenne
Siham Kortas, Enseignante à la retraite
Nacera Krim, Architecte
Karim Lassel, Consultant en développement organisationnel à la retraite
Mona Latif-Ghattas, Écrivaine
Leila Mahiout, Ingénieur informatique
Abdelhakim Medjahed, Assistant immédiat soin infirmier
Abdallah Mohamed-Saïd, Travailleur autonome
Salimata Ndoye Sall, Intervenante sociale
Boussad Oukil, Entrepreneur
Sandra Sahli, Enseignante en électronique industrielle
Farid Salem, Président de l'association Solidarité Québec-Algérie
Ferroudja Si Hadj Mohand, Éducatrice
Khaled Sulaiman, Journaliste
Zabi Eanäyat-Zâda, Auteur et conférencier

samedi 7 avril 2018

Oui pour une police neutre !


Et non, mille fois non, Madame Plante, pour une milice communautaire
05 Avril 2018
Dans sa conception de la représentativité, la mairesse ne donne aucune place à l’individu. Pour elle, la société est composée de communautés et non pas  d’individu. Elle abandonne l’individu à la
communauté. Suivant cette logique, il est légitime de se demander qui représente les individus qui ne sont pas représentés par aucune communauté reconnue ; ceux que le voile, le turban ou autre signes religieux ostentatoires ne représentent rien pour eux. Et le moins que l’on puisse dire est qu’ils sont nombreux. De quelle façon sont-ils représentés par les institutions ?
De plus, dans une société historiquement déterminée par un processus de sécularisation, n’est-il pas absurde de parler de communautés religieuses et surtout d’essayer de donner à celles-ci une visibilité politique ? Poussons cette conception multiculturaliste de l’État jusqu’au bout ; la mairesse est-elle représentante d’une communauté ou de toutes les communautés ?
La mairesse de Montréal, Valérie Plante, demande au corps policier d’entreprendre une réflexion au sujet de l’intégration du hidjab musulman et du turban sikh dans l’uniforme réglementaire. Une réflexion, selon elle qui est « dans l’air du temps ».
Cette demande correspond à son mandat de « rendre la Ville de Montréal plus inclusive et représentative de la population montréalaise ». Nous voilà plongés de nouveau dans l’éternel débat sur la laïcité que nos dirigeants refusent de régler. Notre mairesse justifie cette demande par sa volonté d’améliorer la représentation des communautés. Personne ne peut nier que son attention est louable sur le plan moral et par rapport à l’esprit de la démocratie. Certes, les institutions doivent être représentatives, mais de quoi précisément ?
Eh bien, des citoyens et des citoyennes, autrement dit des individus, ou bien des groupent d’individus qui se réclament d’une communauté qui se dit représentative d’individus ?Il semble que la
représentativité dont la mairesse de Montréal parle concerne les communautés. Si l’on transpose cette façon de percevoir la représentativité aux institutions démocratiques, il semble que pour la mairesse ce que Rousseau qualifie de volonté générale sur laquelle repose la souveraineté ne transcende pas les volontés appartenant aux communautés qui la composent, leur particularité ne s’efface pas au profit de l’universalité garante de l’égalité du traitement. Car, la communauté, quoiqu’elle fasse, elle est animée par une volonté particulière qui tend par nature, selon Rousseau, aux préférences contrairement à la volonté générale qui tend par nature à l’égalité. Selon le raisonnement de la mairesse de Montréal, la souveraineté doit être un reflet fidèle de la société.
Toutes les particularités de la société doivent être présentes dans les institutions étatiques. Dans ce cas les deux religions historiques appartenant à la majorité des citoyens et citoyennes québécoises doivent, elles aussi, être visibles dans les institutions. Ainsi, toutes les institutions de l’État ressembleront à des églises catholiques, car c’est la religion de la majorité. L’hôtel de ville de Montréal, où siège par ailleurs la mairesse, doit ressembler à une église.
D’ailleurs, il lui ressemble un petit peu si l’on regarde aux signes religieux qui ornent ses murs et ses plafonds. Cette vision multuculuraliste de l’État ne protège pas les minorités religieuses, au contraire elle fait de ses membres des sous-citoyens. Ce n’est pas un signe d’ouverture envers les citoyens considérés comme appartenant à des minorités ; bien au contraire, c’est un signe de fermeture et d’exclusion systémique qui renvoie le citoyen à son groupe ethnique, culturel ou religieux au lieu de le considérer comme un citoyen qui a des droits et des devoirs similaires à ceux des autres citoyens. La vraie ouverture peut venir de la neutralité et de la représentation citoyenne et non pas de la promotion du communautarisme religieux.   
Par ailleurs, dans sa conception de la représentativité, la mairesse ne donne aucune place à l’individu. Pour elle, la société est composée de communautés et non pas d’individus. Elle abandonne l’individu à la communauté.
Suivant cette logique, il est légitime de se demander qui représente les individus qui ne sont pas représentés par aucune communauté reconnue ; ceux que le voile, le turban ou autre signes religieux ostentatoires ne représentent rien pour eux. Et le moins que l’on puisse dire est qu’ils sont nombreux. De quelle façon sont-ils représentés par les institutions ?
De plus, dans une société historiquement déterminée par un processus de sécularisation, n’est-il pas absurde de parler de communautés religieuses et surtout d’essayer de donner à celles-ci une visibilité politique ? Poussons cette conception multiculturaliste de l’État jusqu’au bout, la mairesse est-elle représentante d’une communauté ou de toutes les communautés ? Si elle est représentante d’une communauté quelle est cette communauté et quel est son signe ou symbole religieux en dehors de la neutralité qu’elle remet en question ?
Pourquoi ne devrait-elle pas exhiber son appartenance religieuse ? Lorsqu’on a voté pour elle aux dernières élections, on l’a fait non pas parce qu’elle est membre d’une communauté religieuse, mais parce qu’elle nous a présenté, en tant que citoyenne, un programme que nous avons jugé intéressant.
Elle nous a séduits par son programme et non pas par sa religion. Jusqu’à présent, on ne sait pas si elle est croyante ou pas. Sa religion ne nous intéresse aucunement, si tant est qu’elle soit à la hauteur de la femme politique qu’elle a donnée à voir pendant la campagne électorale. Mais avec ce lien qu’elle fait entre la représentativité et les signes religieux, il semble que la mairesse remet en question la neutralité de l’État qui ne favorise aucun individu sur un autre et aucune communauté sur une autre.
Le centre-ville de Montréal, vu du Vieux-Port
Concernant la communauté dite musulmane, sur quelle base la mairesse a choisi le voile comme signe représentant cette communauté ? Ce signe n’est-il pas lui-même objet de débat entre les musulmans ou entre les gens de culture musulmane croyants ou non ? Que ferait-elle des musulmans qui ne s’identifient pas au voile ? Ils sont nombreux.  
Comment seront-ils représentés ? La culture se réduit-elle à la religion ou bien a-t-elle d’autres expressions ? Cette façon de concevoir la culture ne remet-elle pas en question la séparation du politique de la religion ? Autant de questions que les justifications de la mairesse de l’acceptation des signes religieux ostentatoires dans le corps de police suscitent. Toutes ces interrogations soulèvent de nouveau la problématique du rapport de l’État à la religion. Revenant aux agents de police ; il est clair qu’ils sont en position d’autorité ; ils incarnent le pouvoir de l’État et non pas celui de la communauté dont ils sont issus. Ils ne sont pas une milice communautaire. Les policiers sont au service de toute la société et non pas de leur communauté. Ils sont représentatifs de l’État et non pas d’une société. Ainsi, du moment que l’État n’est pas une communauté religieuse, ceux et celles qui le représentent doivent-ils être neutres pour ne pas donner l’impression que le pouvoir des institutions étatiques sont sectaires.
De plus, ce débat soulève sur le plan sociétal des interrogations qui méritent réflexion. Il n’y a pas que les convictions religieuses qui orientent notre carrière professionnelle ; des personnes ont choisi de ne pas être policiers parce que cette fonction ne correspond pas à leurs convictions philosophiques, ceux-ci n’aimant pas par exemple la discipline, l’autorité et l’organisation verticale.Faut-il changer dans ce cas le fonctionnement de la police pour les intégrer ou bien c’est plus sensé pour eux de choisir une autre profession ? Que fera-t-on du musulman qui veut travailler dans un abattoir non halal ? Doit-on lui aménager un espace dans cet abattoir qui correspond à ses convictions religieuses ? Que fera-t-on du jeune musulman qui souhaite travailler dans des bars ? En fait, la société offre beaucoup d’emplois qui ne sont pas adéquats avec les convictions personnelles de ses membres.  
En somme, la mairesse ne nous invite pas à une réflexion ; elle se positionne en moralisatrice qui nous convie à rentrer dans l’ère du temps, du moins dans sa vision de ce qu’est l’ère du haut de ses œillères idéologiques, et faire comme d’autres dirigeants font d’ailleurs. Pour elle, un modèle existe déjà ; il n’y a qu’à mimer ; à l’appliquer chez nous sans aucune considération à l’opinion de la majorité des citoyens ni au principe de la neutralité essentiel pour le vivre-ensemble qu’est censé incarner l’État.
Ali Kaidi
Dr en philosophie politique

Les petits contes voilés*

Le voilement des fillettes soulève des questions importantes quant à sur leur liberté, leur autonomie corporelle et leur dignité, en particu...