Lettre ouverte à la Mairesse de Montréal
Madame
la Mairesse,
Nous tenons à vous faire part de notre
profonde consternation face à votre déclaration d'être « très
ouverte » à
l'introduction de signes idéologiques à caractère religieux, notamment le hijab,
dans les services policiers. Par quelle logique serait-il admis qu'un
représentant ou une représentante d'une institution étatique arbore sa croyance
religieuse ou politique ?
On ne peut que saluer votre volonté
d'assurer la pleine participation de tous les Montréalais et Montréalaises dans
la fonction publique municipale. Le SPVM n'est pas exempté d'appliquer les
programmes d'accès à l'égalité permettant de lutter contre la discrimination à
l'emploi.
Mais cela ne consiste pas à modifier
les règlements afin de se plier aux exigences des demandeurs d'emploi est
simple : Des citoyens et citoyennes en tant qu'individus, et non pas en tant
que membres de communautés religieuses.
C'est d'autant plus aberrant dans une
société historiquement déterminée par un processus de sécularisation, qui lui a
permis de se détacher de l'emprise de la religion catholique. La majorité
historique du Québec serait-elle la seule à pouvoir bénéficier de cette
sécularisation ? Les minorités seraient-elles condamnées à être représentées
par des supposés groupes religieux ?
Les minorités seraient-elles
condamnées à être représentées par des supposés groupes religieux ?
Nous avons maintes fois dénoncé le
fait que nous soyons associés à une « communauté musulmane », représentée, de
surcroît, par une idéologie de l'islam politique, aujourd'hui fortement
décriée, y compris dans son pays d'origine, l'Arabie saoudite.
En lien avec votre initiative d'une
Table sur la diversité, l'inclusion et la lutte contre les discriminations,
nous vous invitons à prendre connaissance de notre mémoire déposé dans le cadre
du Forum sur la valorisation de la diversité et la lutte contre la
discrimination du ministère de l'Immigration.
Nous y expliquons que cette vision stéréotypée
des musulmans, ainsi que les demandes d'accommodement de la part de
représentants auto-proclamés de ladite communauté musulmane, est une entrave à
notre intégration. C'est ce que nous expliquons également dans le Manifeste
pour un islam de liberté et de citoyenneté. Merci de tenir compte de nos
arguments avant d'entreprendre des modifications aux règlements de la Ville
dont nous pourrions faire les frais.
Pour ce qui est du hijab, sur quel
fait vous basez-vous pour considérer qu'il est représentatif des musulmanes ?
Il fait l'objet de débats à l'intérieur même du monde musulman. Le SPVM
devrait-il alors s'assurer de représenter aussi la femme musulmane non-voilée ?
Et comment le faire ? Il est illégal pour un employeur de demander la religion
de son employé.
La Charte des droits et libertés de la
personne, rédigée au moment où le Québec se libérait du contrôle excessif de
l'Église catholique, a permis que la religion ne soit plus un marqueur de la
personne. Cet anonymat religieux est une avancée et un élément de progrès dans
une société. Souhaitez-vous faire marche arrière sur ce principe ?
Cet anonymat religieux est une avancée
et un élément de progrès dans une société. Souhaitez-vous faire marche arrière
sur ce principe ?
À en croire le conseiller municipal
Marvin Rotrand, l'enjeu consisterait tout simplement à mettre au point « un
modèle approuvé de hijab », comme si l'affaire se résumait à de simples
considérations sécuritaires et vestimentaires. Or, les signes religieux sont
lourds de signification. Ils renvoient à des idéologies qui sont souvent source
de tensions, et évoquent parfois des événements sanglants.
Par exemple, le voile est symbole de
violence pour beaucoup de femmes ayant vécu la guerre menée par les islamistes
contre les civils en Algérie, ou pour celles qui viennent d'Iran où enlever le
voile signifie la prison. Comment ces femmes pourraient-elles se confier à une
policière en hijab ? Il en est de même pour toutes celles qui ont fui son
imposition par la barbarie. Avez-vous pensé à elles ?
Au-delà du discours idyllique des
promoteurs du voile, la vérité est toute autre. Il est une barrière efficace
imposée aux femmes pour restreindre leur champ de liberté et contrôler leur
sexualité. En aucun cas l'assouplissement des lois et règlements pour permettre
le voile n'aidera les femmes à s'émanciper. Les lois laïques sont celles qui
protègent le mieux les droits des femmes.
Madame la Mairesse, en affichant une
grande ouverture au voile, vous privilégiez une idéologie qui s'imprègne de
l'intégrisme islamiste et, par la même, vous « pavez l'enfer des autres de vos
bonnes intentions », pour reprendre les termes de Chahdortt Djavann, une femme
qui a subi le régime islamique d'Iran.
Les exemples internationaux ne
manquent pas pour illustrer le contrôle de la femme par le voile. Ici même au
Québec et au Canada, plusieurs cas de crimes d'honneurs liés au voile sont
répertoriés, dont récemment un père de famille de Gatineau accusé au criminel,
car il battait sa fille qui refusait de porter le hijab. D'après l'agente
chargée du dossier, l'adolescente « a trouvé le courage de dénoncer la
situation ». Croyez-vous que la jeune fille se serait confiée si l'agente avait
été voilée ?
Les policiers et policières sont des
intervenants de première ligne. La priorité n'est pas d'assurer du travail dans
la police aux femmes qui refusent de se plier aux règles de l'emploi. Elle est
de s'assurer de la sécurité de tous les citoyens et citoyennes et de les
protéger de toute pression communautariste indue ou de harcèlement
psychologique.
Alors que l'uniforme du policier
renvoie une image de neutralité, les signes religieux renvoient celui d'un
clientélisme religieux.
Alors que l'uniforme du policier
renvoie une image de neutralité, les signes religieux renvoient celui d'un
clientélisme religieux. N'est-ce pas de manquer de respect au citoyen que de
lui imposer un tel message symbolique contradictoire ?
Madame la Mairesse, permettre le port
de signes religieux aux représentants de l'État constitue un inversement du
devoir de neutralité, comme le dit Guy Rocher, un des pères de la Révolution
tranquille. La majorité des Québécoises et Québécois, de toutes origines, n'en
veut pas.
En 2013, un sondage Léger montrait que
78% des personnes sondées étaient pour une interdiction des signes religieux
chez les policiers, et le sondage CROP/Radio-Canada de mars 2017 montre que 76%
des personnes sondées sont favorables à l'interdiction des signes religieux
pour toutes les personnes en position d'autorité.
Il serait bon, de ne pas balayer du
revers de la main cette aspiration des Québécois, sous prétexte que c'est «
dans l'air du temps ». C'est par une réelle laïcisation des institutions de
l'État, et en tout premier lieu la police, qu'il est possible d'accueillir tous
les citoyens, dans le respect et l'ouverture, quelle que soit leur origine
nationale, ethnique ou religieuse.
Veuillez agréer, Madame, nos sincères
salutations.
Ferid
Chikhi, Conseiller en emploi
Nadia
El-Mabrouk, Professeure, Département d'informatique, Université de Montréal
Ali
Kaidi, Doctorat en philosophie et
Leila
Lesbet, Enseignante TES
Pour l'Association Québécoise des
Nord-Africains pour la Laïcité (AQNAL)
Autres
signataires :
Mohand Abdelli, P.Eng.
Nora Abdelli, Infirmière
Saleha Abdenbi, Enseignante
Fatima Aboubakr, Directrice de
garderie
El Mostapha Aboulhamid, Professeur,
DIRO, Université de Montréal, à la retraite
Rachida Ait Tahar, Enseignante
Idir Atif, Ébéniste
Katia Atif, Intervenante communautaire
Amani Ben Amar, Agente financière,
CIUSSS-Centre Sud de l'île de Montréal
Radhia Ben Amor, Coordinatrice de
recherche
Leila Bensalem, Enseignante
Adel Bichara, Ex-propriétaire
d'entreprises, à la retraite
Nawal Bouchareb, Citoyenne
Zahra Boukersi, Enseignante
Amel Chikhi, Biologiste
Hassina Chouaki, Citoyenne
Claude Kamal Codsi, Entrepreneur
Nariman Derky, Poète
Hakima Djermoune, Inspectrice au
contrôle de la qualité pharmaceutique
Nadia Fahmy-Eid, Historienne féministe
Aziz Farès, Auteur et journaliste
Ines Hadj Kacem, Étudiante
Amel Haroud, Gestionnaire
Hassiba Idir, Gestionnaire
Idriss Idir, Ingénieur
Nacer Irid, Ingénieur
El-Houssine Idrissi, Concepteur
ingénierie
Fadhila Jabnoun, Retraitée
Rabah Kadache, Enseignant
Samy Kartout, Administrateur de systèmes
informatiques
Radia Kichou, Citoyenne
Siham Kortas, Enseignante à la
retraite
Nacera Krim, Architecte
Karim Lassel, Consultant en
développement organisationnel à la retraite
Mona Latif-Ghattas, Écrivaine
Leila Mahiout, Ingénieur informatique
Abdelhakim Medjahed, Assistant
immédiat soin infirmier
Abdallah Mohamed-Saïd, Travailleur
autonome
Salimata Ndoye Sall, Intervenante
sociale
Boussad Oukil, Entrepreneur
Sandra Sahli, Enseignante en
électronique industrielle
Farid Salem, Président de l'association
Solidarité Québec-Algérie
Ferroudja Si Hadj Mohand, Éducatrice
Khaled Sulaiman, Journaliste
Zabi Eanäyat-Zâda, Auteur et
conférencier